Luc Baptiste : La vie belle et Autre part (photographies)

mercredi 5 février 2020, par Françoise Lott

éditions Bleu autour, 2019

De courts chapitres, aux titres très simples : Voix, Visages, Rue… Luc Baptiste nous ouvre les yeux sur le monde, par ce qu’il nous dit de ses voyages, des hommes qu’il découvre, du bonheur d’aimer. Il faut lire ensemble La vie belle et Autre part, celui-ci recueil de photos paru en novembre 2019, un mois après le premier. Un dialogue s’établit entre l’écriture et la photographie.

Enfant, à côté de son père, Luc Baptiste voulait voir les locomotives à charbon, les trains qui crachent de la fumée, rêvant sans doute d’y prendre place. Il aimait aussi les livres, par lesquels il « délaissait » le monde, un monde qu’il pressentait imprégné de « misère et de laideur ». Puis il part, et de son premier voyage, vers le nord, il dit qu’il l’a « mis au monde ». Il parle du désert de Gobi, de l’île de Bali, de l’été au centre de la Chine ; mais ce ne sont nullement des invitations à un dépaysement pour touristes. Ce sont les gens, les foules modestes, les paysages dépouillés qui l’intéressent, « l’humble matérialité du cadre qui les entoure ». Attitude que les photos, en noir et blanc, illustrent bien : il y a une parenté entre celle du Puy de Sancy et celle des environs de Petra, par exemple : ce sont les divers visages de la terre, qui invitent le lecteur à écouter leur silence, à rêver de leur ressemblance.

Même sentiment d’unité quand l’auteur parle des hommes qu’il rencontre. La nuit passée dans un train qui traverse le désert de Gobi, train surpeuplé, du plus grand inconfort, fait écho à un épisode de son séjour chez les Ouighours, qui luttent entre eux silencieusement pour monter dans un car antédiluvien, où les voyageurs seront peut-être cent cinquante et formeront « un chaos de foule impassible et exténuée ». Les hommes qui intéressent Luc Baptiste ne sont pas les puissants. C’est, dans un village, un homme qui regarde l’activité de la rue mais ne parle jamais à personne. C’est la femme qui marche en répétant à haute voix, inlassablement, qu’elle va se marier. Il nous montre cet homme qui, dans la chaleur de l’été chinois, « boit à quatre pattes l’eau du trottoir ». « Je sais gré à ces désorientés […] de me rappeler leur humanité » dit-il. En photographiant les visages, silencieusement, il invente des histoires. Une certaine mélancolie circule dans ces pages, visible par exemple dans les photos de paysages urbains. Leur froide géométrie, quel que soit le lieu représenté, l’absence de silhouette humaine, presque toujours, font naître un sentiment de profonde solitude.

Mais il y a des bonheurs. Le jardin de sa mère, retourné à l’état sauvage, l’invite à y revenir avec son fils. Il emmène l’enfant dans de grandes promenades dont il revient, disant « En gloire et en triomphe, je porte mon fils dans le froid et la pluie ». Le dernier chapitre, Amour, entraine le lecteur d’un château fort à un rivage, à l’ascension d’une montagne enneigée et l’auteur dit, de ses rêveries : « Je compose des monologues qui disent des bonheurs, des regards et des gestes joyeux, des tristesses à n’en plus finir ».

Ces vingt et un courts chapitres sont autant de poèmes en prose, l’œuvre d’un écrivain et d’un humaniste.