Marie-Hélène Lafon : Les pays

dimanche 30 septembre 2012, par Anne Brasier

Buchet-Chastel, 2012

Le livre s’articule en trois parties : la première évoque un bref séjour à Paris du père, un paysan auvergnat, à l’occasion du Salon de l’Agriculture. Il est accompagné de ses deux filles encore enfants, dont Claire, l’héroïne ; dans la troisième, Claire, devenue professeur et citadine à Paris, reçoit à son tour le père accompagné d’un de ses petit-fils, jeune citadin déluré. La partie centrale montre toutes les difficultés de la petite paysanne montée à Paris pour poursuivre des études de lettres à la Sorbonne, l’austérité de sa vie, son combat acharné et finalement victorieux.

Bien qu’intitulé « roman », le récit est largement autobiographique : l’auteur, née à Aurillac, est professeur dans la région parisienne. Sans nul doute, elle a connu maintes des expériences vécues par son héroïne : sa difficile familiarisation avec les dieux et les héros grecs, avec les mots savants qu’elle ignorait, avec les livres, ceux de la prestigieuse collection de la Pléiade dont le papier bible ressemble à celui des livres de messe, avec tous les écrivains qu’il faut avoir lus, les musiciens, les peintres qu’il faut connaître, toute cette culture inhérente à certaines familles mais étrangère à la sienne, comme prisonnière dans ces montagnes éloignées de tout et figées des mois durant dans la neige et le froid, vouée à l’élevage des vaches, des « Salers ». C’est la seule race familière au père qui, au Salon, s’étonne de toutes les bêtes inconnues qu’il découvre avec stupeur.

Le titre du roman Les pays est à prendre dans l’acception particulière de « gens originaires de la même région », nés dans le même pays, au cul des vaches, en l’occurrence dans le Cantal que les Parisiens ne connaissent guère que si l’on dit l’Auvergne et qui n’évoque pour eux, au mieux, que quelques fromages et des souvenirs de vacances. Elle est aidée dans sa lente ascension vers cet autre monde par quelques « pays » comme Suzanne et son mari qui les accueillent pour le Salon de l’Agriculture, comme le magasinier de la bibliothèque de la Sorbonne et même Madame Rablot, la caissière de la banque, fille de paysans près de Limoges.

Heureusement, Claire ne manque ni de ténacité ni de volonté, ni de courage et même d’acharnement au travail. Ses étés, elle les passe à travailler dans une banque. Elle ne revient que brièvement, après un lent et long voyage par le train qui facilite la transition. Elle est vraiment initiée à la culture par son amie Lucie et sa famille qui l’accueillent souvent à Coutances et lui révèlent Bach et Flaubert : Madame Bovary et surtout Un cœur simple, son bréviaire absolu.

Dans la dernière partie, le père mesure la distance creusée entre Claire et lui. Divorcée, sans enfants, Claire appartient désormais à un autre monde, bien qu’elle demeure imprégnée des odeurs de son enfance, parmi tout ce qui l’a marquée de manière indélébile dans son pays ; sa nourriture est différente ; elle n’a pas la télévision, elle lui propose à la place un film, un documentaire, une visite au Louvre…

Ceux et celles qui comme Claire ont effectué ce parcours d’une campagne reculée à la grande ville, des mœurs et des valeurs paysannes à la culture littéraire et artistique, au mode de vie moderne des villes partageront ses émotions et revivront les leurs, aidés par la langue drue et imagée du texte et la rigueur de sa composition.