Opal Whiteley : La rivière au bord de l’eau

dimanche 5 mars 2006, par Marie-Claire Hériche

La cause des livres, 2006

Il est rare d’avoir l’occasion d’être en prise directe sur l’imaginaire d’un jeune enfant. La rivière au bord de l’eau : Journal d’une enfant d’ailleurs permet cela, avec émerveillement.

L’auteur, Opal Whiteley, née en 1897 dans l’Oregon, vécut une enfance pauvre, dans un monde de bûcherons, en pleine nature. Entre six et sept ans, elle écrivit ce journal, étrange et fascinant, publié aujourd’hui par les Éditions La Cause des livres. Publié aux États-Unis en 1920, il rencontra un énorme succès, mais provoqua scandale et polémique, accusé d’être un faux écrit par une adulte qui revendiqua durant toute sa vie être la fille du prince français Henri d’Orléans. Il est quasiment avéré aujourd’hui que ce journal a été écrit en 1905/1906, retouché dans une certaine mesure par Opal à vingt ans, au moment où elle a trouvé un éditeur.

C’est un monde merveilleux où vivre dit souvent Opal en conclusion du récit d’une journée de sa vie, source de son inspiration se trouvent dans la nature qui l’entoure : les plantes autant que les animaux. Ceux qu’elle choisit sont des compagnons auxquels elle donne des noms savoureux : son rat préféré s’appelle Thomas Chatterton Jupiter Zeus, le chien de berger Vaillant Horatius, son cochon Peter Paul Rubens. Elle dialogue avec eux, les habille, les soigne, les emmène en promenade, ou pour prier dans un endroit de la forêt qu’elle appelle la cathédrale. Les arbres aussi sont ses interlocuteurs, les sapins Michel Ange, Sanzio Raphaël ou Charlemagne.

Ses aventures dans les champs et la forêt, ses dialogues avec ses amis ont en contre-point sa vie quotidienne dans sa famille, où elle est bien sûr totalement incomprise, avec ses taches domestiques – nombreuses et pesantes pour une enfant de son âge à nos yeux – ses bêtises, nombreuses, et des corrections et punitions qui s’ensuivent.

On est fasciné par la vue à la fois, du monde intérieur dans lequel vit cette petite fille, en relation intime avec les plantes et les bêtes, et de son monde réel, dans une société pauvre et dure. Son quotidien est par moments répétitif, l’écriture enfantine, mais on se laisse entraîner par la poésie du texte, le monde magique qui jaillit de l’imaginaire exceptionnel de cette petite fille à part.

Outre le journal lui-même dans lequel on entre comme dans une caverne magique, la préface de Philippe Lejeune, le commentaire de la traductrice Antoinette Weil et la postface de Martine Lévy éclairent la genèse de ce manuscrit exceptionnel écrit sur des bouts de papiers d’emballage, en lettres bâtons, sans syntaxe et sans orthographe, truffé de mots en français, jaillissement d’un petit cœur solitaire et aimant, pressé de l’absolu besoin d’embrasser le monde et d’écrire ce monde.